J’avais un peu paniqué quand le chauffeur de l’autobus entre Saskatoon et Edmonton m’a dit que je ne pourrai peut-être pas me rendre jusqu’à Whitehorse car la route s’est effondrée. Je n’avais qu’une journée de transit pour prendre un petit avion du nord m’amenant à Inuvik après quatre jours de méditation et de sommeil dans divers autobus ronronnants. Déjà me rendre jusqu’à mon point de départ était une aventure, je ne cherchais pas de péripéties supplémentaires avant d’entamer les premiers coups de pédale. La pêche aux nouvelles à Edmonton m’a appris que la route pour le Yukon venait de rouvrir. Soulagement.
À Eagle Plains, ce point de civilisation à mi-chemin sur la Dempster, je cherchai un peu de lecture avant d’entamer mon septième jour de vélo et pour accompagner mes trois oeufs-toasts-jambon-bacon-saucisses-patates-café. La plus récente édition du Yukon News traînant par là datait du 12 juin. Les nouvelles écrites ne courent pas vite sur la Dempster : c’était le 26. J’y lisais que la route bloquée par un glissement de terrain suite à des pluies diluviennes venait tout juste de rouvrir, ne laissant circuler pour l’instant que les véhicules commerciaux. Les épiceries étaient à sec et l’essence manquait. Whitehorse était une capitale isolée. En page éditoriale je lisais que dans le temps, oh! comment c’était mieux dans le temps, comment on entreposait, comment on fabriquait, comment on se débrouillait, comment on ne dépendant pas des livraisons constantes et d’inventaires à court terme. Le Nord se peuple et il faut le nourrir.
J’ai été surpris par la serre d’Inuvik. En 1998, quelques personnes engagées socialement se sont opposées à la destruction de l’ancien aréna du village, suite à la construction d’un complexe sportif moderne. Une si grande structure pouvait avoir d’autres fins. Il ne fallait que remplacer le toit par un matériel semi-transparent et voilà un aréna devenu serre. Une cargaison de terre a permis de remplir des lots destinés à la location par des individus ou des groupes communautaires. Le renouvellement de la terre se fait par le produit de la station de compostage. Ce qui était les gradins est maintenant une serre commerciale finançant le projet. Ce qui était les vestiaires est maintenant un espace communautaire où l’on peut suivre divers ateliers ou des cours de yoga.
Il est préconçu de croire que rien ne pousse dans le Nord. Avec plus de 50 jours de clarté continue, ça pousse, et vite! Et pas obligatoirement besoin de serre. Seul un talus surélevé du pergélisol peut aussi être efficace. Rien ne doit être plus satisfaisant que de croquer une tomate qui a poussé au nord du cercle polaire, encore plus à côté de la piètre qualité et le prix exorbitant de ce que l’on trouve en épicerie. Quant à moi, j’ai pu ajouter des bok choy savoureux à mon plat du soir.
Le projet d’Inuvik sert maintenant de modèle pour d’autres communautés nordiques. Il est possible de se nourrir de produits de chez soi. Mais ce n’est pas partout où l’opportunité de recycler une infrastructure se présente. Il existe aussi quelques fermes que j’ai croisées en descendant vers Whitehorse. Mais encore faut-il que les détaillants intègrent les produits locaux à leur inventaire et que les Yukonais se les approprient.
Il peut paraître utopique de voir le Yukon autosuffisant alors que les « gens du Sud » ne peuvent le faire. Mais les opportunités d’être moins dépendants sont là.
Le site Internet de la serre d’Inuvik (en anglais) : www.inuvikgreenhouse.com